Faites attention lorsque vous dites ce que vous pensez de votre concurrent !
Début 2021, la Cour dappel dAnvers a été appelée à se pencher sur une affaire
opposant deux fabricants daspirateurs. Lun avait associé lautre au scandale
autour du logiciel truqueur dune célèbre marque automobile. Pour la Cour, cest
inacceptable.
Label énergétique avec un sac vide
Un fabricant daspirateurs sans sac (ci-après : X-Sans) a constaté quun
concurrent-fabricant daspirateurs avec sac (ci-après : Y-Avec) vendait ses
produits avec le label énergétique A. À tort, selon X-Sans, car les tests en vue
de lobtention du label énergétique devaient être réalisés avec un sac vide.
X-Sans a donc saisi le Tribunal de première instance européen pour contester la
procédure de test. Cela sest passé en 2015. Suite à cette procédure, le
fabricant a encore diffusé un communiqué de presse dans lequel il attirait
lattention sur le fait que le consommateur était induit en erreur sur la
consommation énergétique réelle par la manière dont les tests devaient être
réalisés.
Suite à ce communiqué, un journaliste a posé des questions supplémentaires et a
reçu un e-mail avec les détails suivants : Y-Avec représentait un groupe de
marques et il sest avéré que
lune de ces marques avait été impliquée dans le
scandale du logiciel truqueur dans lindustrie automobile. Dans le-mail, X-Sans
a associé les deux, utilisant délibérément les termes de « scandale du logiciel
truqueur » et « scandale (nom de la marque automobile).
Le journaliste a repris les informations obtenues X-Sans dans son article et le
lendemain matin, Y-Avec a avalé son café de travers en lisant le journal. Y-Avec
a intenté une action en justice, mais na obtenu que partiellement gain de cause
: X-Sans a été condamné en 2016 pour publicité comparative dénigrante. X-Sans a
interjeté appel de ce jugement.
En 2018, la directive européenne qui définit les modalités de réalisation des
tests en vue de lobtention du label énergétique a été annulée suite à une
plainte de X-Sans. Conséquence ? Y-Avec na plus pu utiliser le label A...
Est-ce de la publicité ?
Dans la procédure devant la Cour dappel, X-Sans a argumenté que son communiqué
de presse nétait pas une publicité. Il sagissait dinformations à lusage du «
public ».
La Cour nest toutefois pas de cet avis. Le Code de droit économique définit la
publicité comme : toute communication ayant comme but direct ou indirect de
promouvoir la vente de produits, quels que soient le lieu ou les moyens de
communication mis en uvre. Selon la Cour, le communiqué de presse et le-mail à
la rédaction répondent à cette définition, parce quils avaient comme but, à
tout le moins comme but indirect, de promouvoir la vente de produits.
Il sagissait en outre de publicité comparative. À savoir : toute publicité qui,
explicitement ou implicitement, identifie un concurrent ou des biens ou services
offerts par un concurrent. Le fait que le renvoi au logiciel truqueur figurait
uniquement dans le-mail et pas dans le communiqué de presse nest pas une
excuse : lorsquil a envoyé sa communication, le fabricant aurait à tout le
moins dû tenir compte du fait que cette information pouvait être reprise par le
journaliste en question.
Dénigrement
Le juge en première instance avait également conclu que le communiqué de presse,
en combinaison avec le-mail, devait être considéré comme du dénigrement. Selon
la jurisprudence, il y a dénigrement lorsquun acte est contraire aux pratiques
honnêtes du marché. Il est question de dénigrement ou diffamation en cas
dattaque particulièrement préjudiciable à une entreprise qui porte atteinte à
sa réputation ou à la réputation de ses produits, services ou activités, par un
acte diffamatoire ou calomnieux, ou même par une simple critique permettant de
lidentifier.
Linsinuation que le fabricant daspirateurs avec sac 'truquerait' le produit pour
obtenir de meilleurs résultats lors des tests est du dénigrement, tant pour le
juge en première instance que pour la Cour dappel. X-Sans ne pouvait pas
insinuer quun concurrent se serait rendu coupable dinfractions légales, sans
que ces infractions eussent été constatées en justice.
Et la Cour dajouter quil est sans importance que X-Sans eusse introduit une
plainte contre la procédure de test au moment du dénigrement. Largument selon
lequel après examen laffirmation de X-Sans se serait avérée correcte, ne
signifie pas pour autant que la communication ne pourrait pas être du
dénigrement. Une entreprise est autorisée à formuler une critique à lencontre
de ses concurrents, mais elle doit respecter la réputation de cette autre
entreprise.
Même si le concurrent triche
Dans ce cas particulier, le concurrent navait pas été condamné pour trucage au
moment des accusations. Il sest avéré par la suite que X-Sans navait pas tort,
mais même dans ce cas, il ne pouvait pas parler de trucage ni faire le lien avec
le scandale de la marque automobile. Le fabricant daspirateurs sans sac a
également été condamné en appel pour publicité comparative dénigrante.